« Madame ! Vous ne pouvez pas vous garer là. » Alors que je me précipite vers l’entrée de l’hôpital, je me retourne afin de voir à qui j’ai à faire. Un policier me fait un geste pour attirer mon attention. Ce n’est vraiment pas le moment, je suis en retard et pour couronner le tout, quelqu’un s’est invité sur ma place de parking. Je lève les yeux au ciel avec un léger soupir, je m’avance vers l’homme presqu’en trainant les pieds. J’ai du mal à bien calquer les agents de police, il faut cependant que je prenne sur moi dans le but de régler ce souci.
« Cet emplacement est autorisé seulement pour une courte durée… trente minutes pour être précis. Et votre carte de parking sur votre pare-brise me laisse penser que vous n’allez pas rester que trente minutes… » Debout, à côté de mon véhicule, il se penche légèrement au-dessus du pare-brise afin de lire plus attentivement la carte collée à celui-ci, mon laisser-passer.
« …Docteur Williams. » Ah voilà, il cherchait mon nom. Super. J’ai entre-temps placé mes mains sur mes hanches, agacée par son discours sur ma voiture mal garée.
« Ecoutez, je suis très pressée. Un gosse attend que je vienne l’opérer pour qu’il puisse continuer à vivre sa petite vie tranquille. Alors, j’estime que ce problème de parking reste anodin face à ce qui m’attend maintenant. Trouvez la personne mal élevée qui s’est approprié ma place et je viendrai garer correctement ma voiture ! » Je le regarde droit dans les yeux, ma voix était restée douce mais ferme. Pourtant, j’aurais aimé élever le ton un peu plus fort. Mais d’après mon expérience, ce n’était pas toujours recommandé, surtout avec les policiers qui se croient le règne et le pouvoir incarnés. Je vois son visage, d’abord étonné, changer d’expression. Ce serait presque un mélange de déception et d’amusement.
« Ce n’est pas très glorieux de se servir d’un enfant malade pour excuse. » Je peux voir son envie de rire face à mon agacement. Je pince les lèvres et serre mes points avant de faire demi-tour vers l’entrée du bâtiment. Ne réponds rien Joanna, ça ne fera qu’empirer les choses !
La journée arrive tout doucement à son terme, il est temps pour moi de rassembler mes affaires et de rentrer à la maison retrouver Dean et Ethan. Je m’apprête à sortir de l’hôpital par la sortie principale, la même que j’ai empruntée ce matin. Les clés de ma voiture dans une main, mon portable dans l’autre, j’envoie un rapide sms à mon mari pour le prévenir que je rentre. Terminant mon message, je m’avance vers l’emplacement où j’ai inhabituellement garé ma voiture. Lorsque je détache mon regard de mon portable pour déverrouiller mon véhicule, plus de véhicule. Envolé, disparu, volé ? Que sais-je, il n’est plus là. La rage monte en moi, positive attitude où es-tu ? Je cherche du regard un agent de police et m’avance vers lui au trot.
« Excusez-moi ? Je suis le Docteur Williams. Ma voiture n’est plus à sa place… » « Ah ! Vous ! Mon supérieur m’a demandé d’appeler la dépanneuse. Vous étiez mal garée, votre voiture est à la fourrière. » M’avoue-t-il avec une grimace. Mon regard pourrait assassiner une personne, je lâche des cris d’énervement
« Votre supérieur ? La belle-gueule mais non moins chiant et ironique. Je vais le tuer ! Je vais le retrouver et écraser ce merdeux ! » .
J’avais plutôt choisi la tactique de l’ignorance. Après l’épisode du ‘tu-ne-bouges-pas-ta-bagnole-je-te-la-met-à-la-fourrière’, j’ai décidé de l’ignorer dès qu’il était présent dans l’enceinte de l’hôpital. Bien sûr, il se faisait un plaisir de me narguer avec son sourire amusé. Il m’arrivait de le croiser au bar lorsque je prenais un verre avec quelques collègues, lui, il s’amusait avec ces collègues à lui. Bien qu’il m’avait poussée à bout ce jour-là, ma rancune faiblissait peu à peu. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce à force de le voir souriant et optimiste envers moi, ce que je suis en temps habituels. Mais apparemment pas avec lui. Pourtant, j’ai envie de changer et de lui montrer que je peux être agréable. Je pense qu’il le sait déjà, car ce genre de chose se voit, le bonheur émane d’une personne telle une faible aura.
***
Je me souviens du jour où tout a changé, où j’ai arrêté d’être la rancunière-chiante avec lui. C’était le jour de la mort de mon petit patient préféré.
Il est temps pour moi de rentrer chez moi, et d’arrêter de fixer son corps inerte dans la chambre dont l’ambiance s’est noircie. Je m’étais assignée la mission d’attendre les parents de Tom. Ils n’avaient pas su arriver à temps pour apaiser leur enfant vers une mort effrayante. J’ai soutenu Tom jusqu’au bout, je me suis surprise à le prendre pour mon fils, parfois. Trop d’investissement dans le boulot, ça finit par vous tuer à petit feu.
Je salue discrètement les parents, assis auprès de leur enfant. Alors qu’ils versent toutes les larmes de leur corps, je me suis retenue jusqu’à présent. Il est cependant temps que je sorte, au cas contraire, je me mettrai aussi à pleurer devant les parents. Et j’aimerai éviter cette situation, cela ne renforcera que leur peine et mon attitude de femme forte en pâtira. Mon sac et ma veste au bras, je déambule jusqu’à la sortie. Mes pensées sont ailleurs, j’ai besoin d’air frais, une bonne brise nocturne me fera le plus grand bien. Et quelques jours de congé peut-être, mais ça, c’est encore à voir. Tout en m’avançant vers ma voiture, je le croise. L’agent Woods, celui qui me torture avec ses salutations quotidiennes. Sauf qu’aujourd’hui, aucuns mots ne sortent de sa bouche. Je sens mes joues humides sous les larmes qui coulent depuis ma sortie de l’hôpital, ça doit être ça qui le refroidit de me taquiner ce soir. Pour une fois, je lui adresse un regard. J’en ai marre de continuer à l’ignorer, de jouer à ce petit jeu de gamine alors qu’il a toujours été correct (enfin, presque). Je m’assieds derrière le volant et m’apprête à déposer mes affaires sur le siège passager lorsque l’agent s’introduit dans mon véhicule et s’y installe. Je jette mes affaires sur les sièges arrières et ne bouge plus, fixant le pare-brise. Lui, il me regarde. Son regard me semble doux et cherche sûrement un quelconque renseignement sur ce qui a bien pu se passer.
« J’imagine que vous avez fait ce que vous avez pu. Une des seules choses que je sais sur vous, c’est que vous êtes plutôt tenace comme femme. Alors, ne vous torturez pas. C’est que cela devait arriver. » Je tourne mon visage vers lui. Il a vu juste, comment a-t-il pu deviner le décès de Tom ? Mon regard doit se faire interrogateur puisqu’il ajoute
« Ses parents se sont garés sur le même emplacement que vous il y a quelques mois. Ils m’ont rapidement expliqué que leur fils était en train de partir… » « J’espère que vous n’avez pas envoyé leur voiture à la fourrière ! » Un rire léger s’échappe de la gorge de l’agent Woods, il balance ensuite sa tête de gauche à droite.
« Je suis peut-être chiant mais pas cruel. » Un faible sourire étire mes lèvres, je passe le dos de ma main droite sur mes joues afin d’essuyer quelques larmes.
« Je me rends compte que je ne sais pas comment vous vous appelez » dis-je en plongeant mon regard dans le sien. Cela procure une drôle de sensation d’enfin regarder quelqu’un que l’on a tenté d’ignorer tout ce temps. On se fait une image de la personne qui est, en réalité, erronée.
« Oliver, je m’appelle Oliver. » Il me sourit, un sourire désolé de faire connaissance dans cette situation. Je lui rends son sourire.
« Vous me promettez d’être prudente pour le retour ? » J’acquiesce avec une mine un peu moins triste qu’il y a quelques minutes. Je tente une dernière fois de sécher mes larmes dans le but de lui montrer que je tiendrai bon pour le trajet jusqu’à la maison, où je sais que je craquerai à nouveau. J’imagine que ce sera au tour de Dean de me consoler.
« Promis ! Merci… » Le remerciement se fait à peine entendre mais il est très sincère. Oliver m’adresse un clin d’œil amitieux avant de sortir de la voiture. Avant de refermer la portière, il ajoute avec un ton enthousiaste
« Oh, et votre casier judiciaire est très intéressant. Bon, quelques excès de vitesse mais la profanation de statue et insulte envers un agent, c’est assez amusant ! » Je ne peux m’empêcher de lâcher un petit rire. Voilà qu’il avait fait des recherches, mais cela ne me gêne pas plus que ça. Je repense surtout à mon enterrement de vie de jeune fille foireux qui avait été la cause de ce bazar dans mon casier judiciaire.
« Bonne soirée » .